Matière
Littérature française TD S2 LH
Description
L’œil et le flair : amateurs, collectionneurs et esthètes dans la critique d’art et la fiction (XVIIIe – XIXe siècles)
Syllabus
« Ce sont ces gens-là qui décident à tort et à travers des réputations […]. » Dans son Salon de 1767, compte rendu de l’exposition bisannuelle de peinture et de sculpture, Diderot dénonce « l’épidémie venimeuse » des « amateurs » qui, envahissant les ateliers pour imposer aux artistes « l’importunité de leur présence et l’ineptie de leurs conseils », ’interposent entre les œuvres d’art et les goûts du public. S’emparant d’une pratique mondaine ancienne qui deviendra, avec l’essor du collectionnisme et le développement de l’économie de marché, un rituel social incontournable dans l’accomplissement des carrières artistiques du XIXe siècle, le salonnier interroge, à travers cette vive critique des amateurs et des collectionneurs, la formation d’une autorité en matière de goût, questionnant l’attribution de la valeur des œuvres dans une production artistique entraînée par le « torrent » de l’argent. Charge virulente, son propos doit aussi être replacé dans le contexte d’une vaste querelle de légitimité entre les amateurs éclairés de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont l’autorité est institutionnellement reconnue, et les critiques d’arts lettrés qui, à la fin du XVIIIe siècle, défendent le libre jugement des visiteurs du Salon. Alors que les grandes collections privées se multiplient et que la bricabracomanie transforme au début du siècle suivant les intérieurs bourgeois en véritables musées, la figure critique de « l’amateur » fâcheux laisse place, dans la fiction balzacienne, aux personnages du collectionneur maniaque, animé par une passion de l’accumulation, et du marchand d’art sans scrupule, types comiques et caricaturaux propices à une réflexion critique sur la relativité de l’expertise artistique, les procédures de falsification des œuvres et leur dégradation en produits de consommation. Pensé à la fin du XIXe siècle comme un refuge idéal face à la perversion de l’art par l’argent, l’intérieur artiste de Des Esseintes que décrit Huysmans dans A Rebours fait enfin de l’esthète et du dilettante un contrepoint de la figure du collectionneur, privilégiant à la quête du savoir et de la réputation ou à l’appât du gain une jouissance sensible des objets, transformés en véritables familiers dans un environnement consacré au culte de l’art.
Bibliographie
Œuvres au programme :
Diderot, Salons [1759 – 1781], éd. M. Delon, Gallimard, Folio Classique, 2008. Le cours s’appuiera sur des extraits textuels choisis, mais la lecture intégrale de cette anthologie est vivement recommandée.
Balzac,
- Pierre Grassou [1839] dans Le Chef-d’œuvre inconnu et autres nouvelles, édition d’Adrien Goetz, Gallimard, Folio Classique, 1994.
- Le Cousin Pons [1847], éd. Adrien Goetz, Gallimard, Folio Classique, 2022.
Huysmans, A Rebours [1884], éd. Daniel Grojnowski, Flammarion, GF, 2019.